Ça à l'air long, mais c'est que du vide. Où l'art de faire genre j'ai beaucoup bosser sur cette pièce de 4 pages sans titre =)
La scène est plongée dans le noir, on ne distingue rien.
Voix de femme.Il parait que si vous enfermez un homme seul dans une pièce entièrement noire, au cinquième jour il sera fou. Définitivement fou.
Lumière.Une femme est assise, toute petite dans un grand fauteuil, au milieu de la scène. Elle regarde derrière elle et reprend en chuchotant. Ils vous expliqueront ça à coup de repères et de désorientation. Parce que le noir vous comprenez, ça vous rentre dans le crâne avec l’angoisse en prime et ça vous fout là dedans un bordel pas possible. Vous commencez par ne plus savoir quand vous êtes, puis où, et au final c’est la tête dans le mur que vous cherchez qui vous êtes. Les repères c’est la base de l’être, qu’ils vous diront. Sans ça vous êtes foutu, la réalité vous échappe et c’est la psychose assurée.
Elle hausse la voix et frappe l’accoudoir. Seulement moi je vous dis, tout ça c’est du pipeau !
Elle sursaute. Se retourne, méfiante. Plus bas :Ce qu’il y a, c’est qu’au bout de cinq jours à regarder au fond de soi on finit par se voir.
In-va-ria-ble-ment.
Voilà.
On devient fou parce qu’on se trouve.
Placer un homme cinq jour dans une pièce entièrement noire ça vous court-circuite la vie. Parce que le type qui vous la dessine, la vie, il n’a le droit qu’aux angles droits et aux couleurs primaires. La consigne est claire : éviter le tragique du monde. Bien sur de temps en temps c’est un anar à moitié artiste qui prend le pinceau, mais le plus souvent vous avez droit à une vie ce qu’il y a de plus réglementaire. Et les lignes rougesjaunesbleues autant vous dire que ça ne vous autorise pas ce genre d’écart purement absurde qui consiste à se retrouver en face de soi.
Voix d’homme 1 : C’est un peu comme regarder le monde à travers les mauvaises lunettes : vous voyez flou.
Un temps.La femme : Si vous voulez. Sauf que la vie, lorsque vous la prenez un peu en courbe, elle vous fout à la porte. Pas la peine d’essayer d’y revenir, elle vous enverra valser dans les nuances.
L’homme : Bien sur au début vous serez un peu désorienté.
La femme : Totalement paumé.
L’homme : Et puis vous finirez par vous y faire.
La femme : Vos yeux s’habituront doucement.
L’homme : Et à force vous accepterez ce qu’ils voient.
La femme : Jusqu’à comprendre les choses à votre manière à vous.
L’homme : Une drôle de manière qui n’est plus du tout celle de la vie.
La femme : Qui n’est plus du tout la notre.
L’homme : Qui fonce parfois dans le tragique.
La femme : Parfois dans le vrai.
L’homme : Parfois dans le vide.
La femme : Dans le beau.
L’homme : Ou dans le mur.
Noir.
Lumière.
La femme est assise dans son fauteuil. A côté d’elle, dans un fauteuil semblable, une autre femme habillée à l’identique.Elles prennent le thé. La femme : Bien sur il ne m’a rien dit, vous le connaissez : toujours mystérieux, toujours à faire des manières. Il se donne de l’importance avec ses non-dits, c’en devint maladif.
L’autre : C’est invivable. D’ailleurs, vous a-t-il parlé de sa dernière théorie ?
La femme : Celle du silence ? Oui, oui. Absurde.
L’autre : Une obsession. Il ne parle que de ça : ressusciter le silence.
Un tempsVoix d’homme 1 : Voilà. Nos silences aujourd’hui ressemblent à celui-là. Ce sont des silences morts. Des silences vides. Vides de bruit puisqu’ils n’ont plus de son. Et pourtant il existe des silences remplis d’une autre vibration. Qui vivent. Des silences qui sont là, simplement. Qui doivent être là. Vous voyez, ce sont ces silences là que je veux montrer au monde. Ils sont quelques part, au fond des choses.
A attendre.
A nous attendre.
ET ÇA FAIT DES SIECLES PUTAIN QU’ILS VOUS ATTENDENT ! DES SIECLES QUE VOUS LES MEUBLEZ COMME DES CONS PARCE QUE LE SILENCE ÇA VOUS FOUT LES JETONS. DU BRUIT TOUJOURS DU BRUIT ET LE MOYEN LE PLUS SIMPLE POUR EN FAIRE / PAS LE TEMPS, PAS LE TEMPS / MONTEZ LE VOLUME / PARLEZ, SURTOUT NE VOUS ARRETEZ PAS / ASSOURDISSEZ VOUS, PLUS VITE MADAME, PLUS VITE ! ET SI VOUS N’AVEZ RIEN A DIRE CRIEZ / MAIS QU’EST-CE QUE JE CRIE MAMAN ? / ON S’EN FOUT BORDEL ON S’EN FOUT PUISQUE PERSONNE NE VOUS ECOUTE. IL N’Y A QUE LE SILENCE QUI LEUR RENTRE DANS LE CRANE ALORS CRIE PETITE, LEUR TETE DOIT RESTER VIDE /
/CRIE !
/CRIE !
/CRIE !
Silence.
Silence gêné.
L’autre toussote. La femme pianote sur l’accoudoir.
Elles se regardent. S’évitent.La femme ( bas) : Avez-vous vu Nadège récemment ? Elle a grossit.
L’autre : Pardon ?
La femme (plus fort) : Avez-vous vu Nadège récemment ? Elle a grossit.
L’autre (soulagée – très fort) : Ne m’en parlez pas : elle est énorme !
La femme : Elle est en pleine dépression parait-il. A cause de cette histoire de mariage.
L’autre : Oui, sa fille se marie en septembre, c’est décidé.
La femme : Elle laissait couler en pensant qu’elle se lasserait. Et bien, c’est gagné ! Remarquez elle a toujours passé tous les caprices de sa fille, ça devait bien finir par lui retomber dessus.
L’autre : Et puis entre nous, sa fille a un don pour se dégotter des excentriques. Vous vous souvenez de celui qui construisait des pièges ?
Rires.La femme : Et comment !
L’autre : Des dizaines, des centaines de pièges ! Il y en avait partout. Et par terre tous ses petits cadavres ! Des os, des plumes, des poils, une horreur. Je ne sais pas comment elle vivait là dedans, moi je n’ai jamais pu rentrer. A par ça un homme charmant je le reconnais et beau garçon, mais enfin cette passion…
La femme : Et le chroniqueur ?
L’autre : Pas moyen de placer un mot sans qu’il sorte son magnétophone. Il enregistrait tout. Ca peut servir, disait il, parlez plus fort ! Articulez ! Et très pointilleux avec ça. Il m’avait fait répéter une journée entière ma recette de tarte au flan : l’intonation sur les œufs n’était jamais bonne. Nous avons finis par mettre les œufs œuf par œuf, c’était satisfaisant.
La femme : Et maintenant un artiste…
L’autre : Compulsif !
La femme : Névrosé !
L’autre : Maniaque !
Silence.La femme : Tenez, la voilà.
Entre une jeune femme, habillée comme les deux premières. Elle avance sans les voir, s’arrête au bord de la scène. La fille : Maman n’est pas contente. Elle voudrait que je me marie avec quelqu’un de bien. Un dentiste. Un dentiste ça a une situation stable. Ca offre de jolies robes. Ca vous fait de beaux enfants. Deux ou trois, pas plus. Des qui écrivent des poèmes à la fête des mères et rangent leurs chaussures dans l’armoire de l’entrée. Seulement moi, dans mon entrée, il n’y aura pas d’armoire. Il y aura une porte qui ne s’ouvre pas. Et un bouquet de marguerites qu’il faudra changer tous les jours. Et des murs blancs pour qu’on puisse s’y dessiner. Maman elle ne comprend pas. Elle voudrait que je me marie avec quelqu’un de bien. Un avocat. Un avocat ça a une situation stable. Ca offre de beaux bijoux. Ca vous fait voyager tout autour du monde. Des cicruits touristiques où on cherche l’exotisme entre deux hotels comme des palaces. Seulement moi, pour voyager, j’aurais seulement un vieux camion. Il y aura un matelat à l’arrière qu’on montera sur le toit pour regarder les étoiles. Et des rideaux avec des arc-en-ciels décolorés. Et un vieux poste de radio qui marche que quand on chante. Maman elle rêve d’aller vivre avec un cow boy noir dans un petit ranch quelque part en Austrlie. Mais chut ! A la place elle a épousé quelqu’un de bien. Un homme d’affaire. Un homme d’affaire ça a une situation stable. Ca offre de l’électroménager. Ca vous trompe de temps en temps, mais ça n’est pas bien grave ; de toute manière ça n’est jamais là. Seulement moi, je ne veux pas quelqu’un de bien, je veux un homme qui m’aime.
Elle part.
Les deux femmes se regardent, haussent les épaules, plongent dans leurs tasses.La femme : Comment va votre soeur ?
L’autre : Bien. Bien. Elle s’occupe doucement. Son artrose la fait souffrire, la pauvre. Elle ne peut presque plus se déplacer. Elle reste dans son fauteuil, toute perdue. Qu’est-ce qu’elle à maigris, depuis la mort de son mari ! Un squelette, elle fait peine à voir. Elle attend. Je crois qu’elle perd un peu la tête depuis quelques temps. L’autre jour elle ne m’a pas entendue venir, sourde comme un pot ! Elle m’a montré le mur et elle m’a dit : « je regardais la vie ». Elle me demande pourquoi je n’emmene plus les enfants la voir, mais quel spectacle pour eux toute cette vieillesse !
La femme : Les vieux ne se rendent pas compte qu’ils sont misérables. Moi, je ne vais plus voir ma sœur : ça me coutait trop. La voir toute petite dans son fauteuil à regarder les murs, avec ses doigts tout déformés qui essayent toujours de prendre, de saisir, de montrer et qui ne savent plus rien faire. C’est trop dur de les voir peiner, hésiter, trembler, faire tant d’efforts pour se lever d’un fauteuil et se trainer péniblement vers le lit. Non vraiment, pour des enfants ce n’est pas correct.
L’autre : Et à la voir décliner de jour en jour, je me rend compte que j’ai peur de vieillir. Terriblement peur.
Voix d’homme 1 : Mais vieillir Madame, ce n’est jamais qu’une manière de finir d’être, tranquillement, ce qu’on a été. De ralentir et puis de s’arrêter, d’attendre que la vie finisse à son tour. Ca n’a rien de terrible au contraire, c’est beau. Il faut juste apprendre à la voir, cette beauté là, à la comprendre et à l’aimer.
L’autre se lève difficilement, retombe dans le fauteuil. Finis par tenir sur ses jambes après plusieurs essais. Elle part en chancelant, voutée, à petits pas. La femme a détourné les yeux, elle regarde ses mains étalées sur sa jupe. La femme : Tu sais, je crois que nous devrions abatre ce mur. On se comprendrait mieux. Derrière il y en a un autre, mais celui-ci on l’a trop vu, il n’a plus rien à nous dire. Nous non plus. Je crois qu’il nous faut un mur blanc, pour tout regarder à nouveau. Peut être qu’on trouvera où tout c’est arrêté. Je crois que c’était là, mais je ne suis plus sur. Peut être que c’était avant nous. Nous devrions abatre ce mur. Non, non, vraiment. Bien sur que je t’aime, mais nous devrions l’abatre.
Elle reste un instant rêveuse.La femme : Tout d’même, dans tes bras je savais qui j’étais.
Noir. Bruit de pas, voix d’homme 2 : Ca fait cinq jours, allez y ; ouvrez la porte et allumez.