Tous les soirs, comme tout un chacun, je rêve. Parfois il m'arrive de m'en souvenir ; et plus rarement encore de les noter. Il y a quelques jours, je me suis dit qu'il serait très amusant (pour moi avant tout, pour d'autres éventuellement) de les rédiger autrement que sous forme de notes, quitte à combler les trous de mémoire par des "ornements" (dixit Rousseau, hahaha)... l'idée m'est venue d'en faire des scènes.
J'essaierai de les dater quand je le pourrai ; d'y ajouter un titre quelquefois si j'en trouve un convenable. Enfin, il est possible que je parle de moi dans mes rêves ; je me désignerai par mon prénom et non par mon pronom.
Il se peut que ces rêves soient peu actifs, voire carrément banaux. Mais je ne choisis pas ce que mon inconscient me dicte. Je m'en tiens fidèlement à lui et à mon projet d'être le plus fidèle possible à ce qui s'est passé, fût-ce ridicule.
Rêve premier : D'une histoire de douche.
QUENTIN : Moi.
TONY : Demi-frère de QUENTIN.
ANDREEA : Amie roumaine de QUENTIN.
INÈS : Amie de QUENTIN.
AUDE : Amie de QUENTIN.
SANDY : Amie de QUENTIN.
YANNICK : Ami de QUENTIN.
LES DEUX JUMELLES.
SCÈNE I
(QUENTIN, TONY, ANDREEA, INÈS, AUDE, SANDY)
La scène se passe au matin, dans l'appartement de montagne des grands-parents de QUENTIN, dans le couloir menant à la salle de bains, aux toilettes et à la chambre. On entend se doucher TONY. QUENTIN se trouve devant la porte.QUENTIN : Putain c'est pas vrai... (un silence) cet enfoiré met encore trois plombes à se doucher. Mais berdoule il est pas tout seul quoi !
Un moment passe.Et en plus je suis sûr qu'il utilise mon savon pour le visage cet enfoiré.
Un autre moment passe. La chasse d'eau retentit.ANDREEA (sortant des toilettes, avec de grands gestes circulaires) : Salut salut !
QUENTIN : C'est mon tour.
ANDREEA : Hein ?
QUENTIN : De me doucher. Dès que cet enculé sort c'est à moi de me doucher.
ANDREEA : Mais j'ai encore rien dit...
QUENTIN : Je préviens, c'est tout. Bonsoir.
ANDREEA : Fait beau hein ?
QUENTIN : Conversation pourrie. Tu sais pas les lancer, ma...
ANDREEA (interrompant) : Les chiottes sont trop confortables, c'est énorme. Spacieuses et tout. On peut lire et faire des mots croisés. Et puis le bruit de la chasse est trop bien. T'as pas les petits cacas qui...
QUENTIN (interrompant) : Restent dans l'eau. Je sais. J'ai testé ces chiottes avant toi.
Silence. Arrivent Aude et Inès ; elles sortent du salon avec une tête peu réveillée.INÈS & AUDE : Salut.
QUENTIN : Je vous préviens c'est MON tour.
INÈS : J'ai rien...
QUENTIN : Je préfère prévenir. Vous aller m'entuber sinon, c'est gros comme une maison.
AUDE : En parlant d'ordures, il est là depuis longtemps l'autre ?
ANDREEA : Avant que j'arrive.
QUENTIN : Il me les casse.
TOUTES : Pourquoi ?
QUENTIN : Vous ne le connaissez pas ; tous les matins cet enfoiré met plus d'une heure à se doucher, il sort quand l'eau est froide et il laisse une odeur dégueulasse de déo en sous-marque dans toute la salle de bains. Je suis obligé de me laver à l'eau froide sans respirer, tous les matins.
TOUTES : Ah.
QUENTIN : Faut que je me lève plus tôt que lui mais ça marche jamais. Il est TOUJOURS là avant toi, comme ce putain de conducteur qui prend ta place de parking qui t'est à toi réservée.
INÈS (d'un air fier et ravi) : Hé hé, fils, j'ai un truc qui va te plaire !
Elle entonne le Trei Culori, rejointe par QUENTIN en cours de morceau, sous l'œil médusé et désespéré de ANDREEA.INÈS & QUENTIN :
Trei culori cunosc pe lume,
Amintind de-un brav popor,
Ce-i viteaz, cu vechi renume,
În luptă triumfător.
Multe secole luptară
Strabunii noştri eroi,
Să trăim stăpîni în ţară,
Ziditori ai lumii noi.
AUDE (dubitative) : Et c'est quoi ?
ANDREEA : L'hymne de la Roumanie communiste...
QUENTIN : Je me souviens plus de la suite.
INÈS : Moi non plus.
On hausse des épaules. La porte de la chambre s'ouvre, ils se retournent.SANDY (de la chambre, sans quitter son lit) : J'veux me doucher... y'a quelqu'un à la douche ?
QUENTIN : On est... (comptant) huit, en me comptant, à attendre devant cette porte. Ce connard de Tony est là depuis des plombes !
AUDE (indignée) : Hé, mais à elle tu...
QUENTIN : De toute façon c'est mon tour. Tu passeras après Inès.
AUDE : Je n'ai rien dit.
Un silence.SANDY : C'était le Trei culori que vous chantiez ?
INÈS (ravie) : Ouais !
SANDY (faussement en colère) : Pourriture de communiste ! Pas toi ma femme hein, lui là.
QUENTIN (offusqué faussement) : Hé !
SANDY : Non sans rire t'en as pour longtemps ?
QUENTIN : Bon ok, écoutez : je vais juste me laver les cheveux parce qu'ils sont gras dégueulasses, comme ça ça ira plus vite.
ANDREEA : Mais c'est crade !
AUDE : Bof, quand on le connaît...
QUENTIN : Allez vous pendre, je fais vite pour VOS beaux yeux, et...
La porte s'ouvre. TONY sort en courant et laisse derrière lui des traînées odorantes de déodorant et de parfum. Il ne dit rien.INÈS, AUDE, ANDREEA : C'est vrai que ça fouette !
SANDY : Et ça sent d'ici...
QUENTIN : Et il part en Juif sans s'excuser... bref.
(Il entre dans la salle de bains.)
SCÈNE II
(QUENTIN, YANNICK, LES DEUX JUMELLES)
La scène se passe dans la salle de bains qui tient plus des thermes romains de par la taille et la présence de plusieurs bassins. Elle est bondée et pleine de vapeur.QUENTIN (se dirigeant vers Yannick) : Ça va comment ?
YANNICK (révisant sur un plan de travail, à côté d'un lavabo) : Putain m'en parle pas, j'ai un contrôle d'histoire tout à l'heure et j'ai pas étudié.
QUENTIN (se lavant les cheveux dans un lavabo adjacent) : Bof, ça va, tu cartonnes d'habitude en cours.
YANNICK : Toute façon je vais pas réussir mon bac et je vais jamais revenir, de honte.
QUENTIN : Défaitiste. Tu devrais être fusillé.
YANNICK : Je suis sérieux !
QUENTIN (à part) : Moi aussi.
YANNICK : Je le passe tout à l'heure et j'ai pas bossé !
QUENTIN : Attends, ton contrôle...
YANNICK : C'est mon bac bien sûr !
QUENTIN semble d'abord effaré, puis passe à un autre sujet tout brusquement.QUENTIN : Tu vois les deux jumelles là-bas ?
YANNICK : Oui ?
QUENTIN : Elles sont en seconde et elles ressemblent à ma tante.
LES DEUX JUMELLES : Connard.
QUENTIN : En plus belles. Et en plus jeunes. Elles s'appellent Chloé et Marion.
YANNICK : Je les ai jamais vues.
QUENTIN : C'est normal, elles étaient avec nous au collège. Bon courage.
QUENTIN sort tout dégoulinant, en pestant qu'il est en retard.